L’approche capacitaire : un enjeu pour l’Europe et la défense

Informations 01 septembre 2016

Dans la revue Défense n°181, de juillet-août 2016. Article de M. Louis Gautier

  • Défense

« Nous n’avons que le choix entre les changements dans lesquels nous serons entrainés et ceux que nous aurons su vouloir et accomplir » Jean Monnet, 1954

Au moment où le projet européen semble être en crise et où la politique européenne de défense et de sécurité manque de visibilité, c’est dans le domaine capacitaire que les perspectives de succès sont sans doute les plus nombreuses et les plus concrètes. La consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne peut s’appuyer sur de récents succès, auxquels la France, et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) en particulier, ont contribué : le projet  » ONE-MBDA  » qui donna naissance à un unique acteur européen dans le domaine des missiles à travers l’intégration des parties française et britannique de MBDA, ou encore le projet KANT qui, grâce au rapprochement de l’Allemand KMW et du Français NEXTER, aboutit à la création d’un nouvel acteur 100 % européen dans le secteur des blindés et de l’armement terrestre.

L’Agence européenne de défense, qui peut s’appuyer opérationnellement sur l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAR), doit de son côté participer à la relance de grands projets communs, à l’instar de ce qui a été fait pour l’avion de transport A400M au début de la décennie 2000. La signature en mai dernier d’une déclaration d’intention tripartite entre la France, l’Allemagne et l’Italie pour le développement d’un drone MALE européen constitue à ce titre une perspective encourageante.

L’Europe doit en outre s’attacher à recréer des filières d’excellence dans des domaines où elle dépend trop de l’étranger. Dans le cadre de l’action préparatoire européenne pour la recherche de défense, le SGDSN conduit une réflexion pour le développement de filières autonomes européennes de composants critiques, assurant à terme notre autonomie pour la production de nos systèmes d’armes.

Ces actions capacitaires doivent par ailleurs s’accompagner de réformes réglementaires afin de favoriser la circulation des matériels militaires en Europe. A cette fin, le SGDSN est appelé à jouer un rôle moteur à l’occasion de la réforme de la directive sur les transferts intracommunautaires des équipements de défense. En favorisant une telle fluidité, elle doit permettre de consolider la base industrielle et technologique de défense européenne.

Dans un dernier domaine enfin, celui du cyberespace, l’Europe peut s’attacher à développer des outils communs. L’adoption en 2013 d’une stratégie européenne de cybersécurité marque à ce titre une première étape, mais elle doit être prolongée par des réalisations concrètes. La France, qui a dévoilé sa stratégie nationale pour la sécurité du numérique en octobre 2015, entend jouer sur ce plan un rôle moteur en proposant aux pays membres qui le souhaitent le développement d’une feuille de route pour l’autonomie straté-gique du numérique. Elle a déjà à ce titre renforcé ses liens avec l’Allemagne à travers l’étroite coopération établie entre le BSI (Bundesamt für Sicherheit in des lnformationstechnik) et l’ANSSI.

Dans différents secteurs, des progrès sont donc possibles. Le SGDSN s’efforce d’en promouvoir l’idée au moment même où notre pays effectue un effort important en matière de défense et souhaite sur ce point être compris et suivi. Outre la hausse de près de quatre milliards du budget de la défense d’ici 201 9 décidée en 2014 et 2015, les crédits affectés à la sécurité sont ainsi passés de 17 à plus de 18 milliards d’euros entre 2012 et 2015. Une politique de renforcement des effectifs a par ailleurs été mise en œuvre depuis 2012.

L’approche par projets ne saurait pour autant suffire à terme. Il conviendrait, selon la stratégie de l’Union européenne en cours d’élaboration, de s’interroger sur la pertinence d’un  » livre blanc  » européen de la défense. Un tel texte devrait venir préciser les objectifs et les modalités de la PSDC. Alors que l’envie d’Europe est en chute libre chez nos concitoyens, il est essentiel de faire œuvre de pédagogie et d’en expliciter les enjeux. Cette prise de conscience collective est fondamentale à l’heure des suites du Brexit. Toute la difficulté, dans les circonstances actuelles, est de ne pas faire du livre blanc un chiffon rouge ou un exercice formel sans valeur.