Allocution d’ouverture du conseil national consultatif pour la biosécurité

Informations 30 novembre 2015

Discours prononcé par M. Louis Gautier le 30 novembre 2015. Paris

  • Affaires internationales, stratégiques et technologiques

Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les académiciens,

Mesdames, Messieurs,

Je vous sais gré, Monsieur le ministre, cher Jean-Marie le Guen, de nous faire l’honneur de présider cette séance inaugurale et je remercie le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences pour son accueil dans cette prestigieuse Grande salle des séances de l’Institut. Je me réjouis, Monsieur le secrétaire perpétuel, que la création du conseil national consultatif pour la biosécurité intervienne avant le terme de votre mandat, tant vous avez œuvré à sa naissance avec Messieurs Henri KORN, Patrick BERCHE et Patrice BINDER qui en avaient remontré la nécessité. Je profite par ailleurs de cette occasion pour saluer le Professeur Pascale COSSART, qui vous succèdera au 1er janvier prochain.

Cette séance d’installation du CNCB prend place dans un contexte très particulier depuis que notre pays a été touché par des attaques terroristes d’une ampleur inédite.

La réplique décidée par le Président de la République et le gouvernement a conduit sur le plan national à instaurer l’état d’urgence, voté pour trois mois par le parlement, et à l’intensification des frappes contre Daech en Syrie. Ces mesures témoignent de notre détermination à protéger notre pays et à défendre notre démocratie et ses valeurs.

Depuis plus d’un an, la France avait renforcé tous ses dispositifs d’alerte, de vigilance et de prévention face au terrorisme. Comme l’a rappelé le Premier ministre lors de son allocution à l’Assemblée nationale du 19 novembre, dans ce contexte aucune menace ne peut être écartée, y compris la menace chimique et même le risque biologique.

L’installation de ce conseil national consultatif pour la biosécurité prend donc une résonnance particulière. Sa tenue était néanmoins prévue de longue date et il ne faut pas la sur-interpréter au regard d’une actualité immédiate. La création de ce comité répond effectivement à la nécessité de mieux évaluer et de mieux répondre à un risque identifié, dont aucun indice récent n’a fait remonter la cote d’alerte.

De fait, ces menaces ne sont pas nouvelles.

Déjà, en 1993, la secte Aum a tenté en vain de réaliser une attaque bioterroriste dans la ville de Tokyo.

En 2001 aux États-Unis, des enveloppes contenant des spores de bacilles de charbon ont été adressées après les attentats du 11 septembre à des parlementaires ainsi qu’aux bureaux de grands medias.

Plus proche de nous, en avril 2013, une lettre contaminée avec de la ricine, une toxine d’origine biologique, a été adressée au Président américain.

Dans ce contexte, l’Académie des sciences a fait paraître en 2008 un rapport sur les menaces biologiques, la biosécurité et les responsabilités des scientifiques dans ce domaine.

Ses auteurs, Henri KORN, Patrick BERCHE et Patrice BINDER y soulignaient le caractère dual des conséquences de la recherche biologique.

En effet, si les bénéfices des avancées récentes dans le domaine des sciences de la vie sont indiscutables, notamment en termes d’environnement et de santé publique − meilleure compréhension d’une maladie, amélioration de la qualité de vie −, ces progrès peuvent cependant s’accompagner de risques résultants soit d’une dissémination accidentelle soit d’un détournement d’usage des micro-organismes. Cette double menace s’est d’ailleurs traduite en France par la mise en œuvre d’un contrôle renforcé sur les exportations de produits chimiques et biologiques, et par la sectorisation des laboratoires en fonction du risque pathogène qu’ils présentent (laboratoires P1, 2, 3 et 4).

La gestion de cette dualité constitue ainsi un véritable défi, tant pour la communauté scientifique que pour les pouvoirs publics. C’est pour répondre à celui-ci que le rapport de l’Académie des sciences proposait la création d’un conseil chargé des questions de biosécurité, réunissant des scientifiques et des représentants des différentes administrations de l’État.

En 2014, je soumettais cette mesure au Premier ministre qui confia alors sa mise en œuvre au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

Chargé de façon générale de la coordination des politiques de sécurité de notre pays, le SGDSN est en effet particulièrement engagé sur la problématique du risque NRBC où il a développé, en relation étroite avec l’ensemble des acteurs ministériels concernés, une expertise propre. Dans le domaine de la menace biologique, il lui revient notamment de mobiliser les compétences pour cerner et évaluer la menace, pour organiser les réponses des services concernés et enfin pour structurer les coopérations internationales.

Ces dernières années, trois axes ont ainsi été plus particulièrement au cœur de son action :

  • l’axe réglementaire, avec la mise en place sous l’égide du SGDSN d’un régime d’autorisation d’accès et de détention des micro-organismes et toxines hautement pathogènes (plus connu sous le nom de « décret MOT »), et le dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la nation (PPST) ;
  • l’élaboration de plans de réponse, avec notamment les plans Piratox et Biotox qui ont été conçus pour répondre à la menace chimique et biologique ;
  • l’établissement d’enceintes ad hoc chargées d’approfondir notre connaissance des risques. Depuis 2008, le SGDSN préside le comité NRBC-E consacré aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. Exemple réussi de coopération technique entre les administrations et la communauté scientifique, ce comité établit chaque année une quarantaine de thèmes de recherche à approfondir. Il associe au travail des représentants des différents ministères, une quinzaine d’organismes de recherche, dont l’Institut Pasteur, le CNRS, l’INSERM, l’ANSES et plusieurs universités.

La création du CNCB vient ainsi compléter un dispositif qui demandait à être institutionnellement renforcé.

Ce comité constitue une structure unique dans le paysage français. Pour la première fois, un conseil à vocation stratégique réunit en effet des personnalités scientifiques et des hauts fonctionnaires de l’Etat.

Il revient désormais à cette structure d’éclairer les pouvoirs publics, la communauté scientifique et la population sur les bénéfices et les risques que représentent les progrès de la recherche en sciences de la vie. Dans cette perspective, il lui appartient en particulier de concilier en permanence la liberté de la recherche avec les impératifs de la sécurité. Le CNBC devra à ce titre émettre des avis ou des recommandations sur les travaux prospectifs en cours et sur la diffusion de certains résultats présentant des risques pour la biosécurité. Il devra également informer la communauté scientifique de l’évolution de la réglementation nationale et internationale dans ce domaine. Son but, soulignons-le, n’est donc pas de régenter la recherche, mais d’accompagner son développement et de prévenir ses éventuelles retombées nocives.

Pour remplir ses missions, le CNCB pourra faire appel à d’autres structures. Je pense notamment au Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), fondé en 2008 et dont je salue la présidente Mme NOIVILLE. De manière schématique, le Haut conseil des biotechnologies s’inscrit plutôt en amont des travaux de recherche, avec la délivrance d’agréments, là où le CNCB sera davantage appelé à travailler en aval, avec la prise de position sur l’éventuelle dualité du produit de ces recherches. L’interaction de ces deux instances complémentaires sera donc des plus profitables.

Le conseil pour la biosécurité pourra par ailleurs s’inspirer des précédents étrangers. Je pense en particulier à l’exemple des États-Unis, qui ont mis sur pied une structure comparable il y a dix ans, le NSABB (National Science Advisory Board for Biosecurity).

Tout comme le CNCB, le NSABB est chargé de produire des recommandations, des avis et des conseils dans le domaine de la recherche biologique. A ce titre, il a joué un rôle particulièrement crucial dans l’encadrement des travaux concernant le virus H5N1. Alors que la publication des résultats des équipes du Dr FOUCHIER et du Dr KAWAOKA présentait un risque de détournement malintentionné, le NSABB a effectivement travaillé avec les auteurs à la révision de leurs manuscrits scientifiques, ce qui a permis d’assurer leur publication.

Cet exemple illustre un des rôles que le CNCB sera amené à jouer dans l’avenir, rôle pour lequel il pourra bénéficier de l’expérience acquise nos partenaires. Des contacts ont d’ailleurs été pris au plus haut niveau afin de lui permettre d’interagir très rapidement avec son homologue américain.

Le CNCB devra enfin bénéficier du soutien des scientifiques eux-mêmes, à qui il revient d’être particulièrement conscients de l’impact potentiel de leurs recherches sur notre sécurité. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’une concertation a été engagée entre l’Etat et le monde de la recherche sur la protection du potentiel scientifique et technique de la nation.

Pour conclure, quel agenda peut-on envisager pour le CNCB dans les mois à venir ?

Celui-ci devra être en priorité déterminé par les enjeux de sécurité posés par la biologie de synthèse et les nouvelles techniques d’édition des génomes (génie génétique) ; des domaines qui sont d’actualité.

S’agissant de la biologie de synthèse, les conclusions des travaux interministériels pilotés par le SGDSN ont abouti à un certain nombre de recommandations, qu’il conviendrait de mettre en œuvre dans le cadre du CNCB. Elles visent à la prévention des risques liés à ce champ de recherche, tout en évitant l’adoption d’un cadre trop contraignant qui nuirait à la compétitivité des laboratoires français. Dans cette perspective, une des principales recommandations propose notamment d’ajuster la règlementation relative à l’utilisation confinée d’OGM aux nouvelles disciplines de la biologie de synthèse, telle que la xénobiologie (sous-discipline de la biologie de synthèse qui vise à mettre au point des formes de vie étrangères, du point de vue chimique et informationnel, à celles qui sont connues sur terre).

En ce qui concerne les nouveaux outils du génie génétique, les potentialités dans ce domaine sont considérables. Les travaux de la française Emmanuelle CHARPENTIER et de l’américaine Jennifer DOUDNA sur le système CRISPR-Cas9 (Clustered regularly interspaced short palindromic repeats), sorte de couteau suisse de la génétique, pourraient notamment déboucher sur le traitement de nombreuses maladies incurables. Comme toute avancée scientifique majeure, ils peuvent néanmoins faire l’objet d’un détournement malveillant. En avril dernier, une équipe de chercheurs d’un pays tiers a ainsi utilisé le CRISPR-Cas9 pour tenter de modifier le génome d’un embryon humain, ouvrant potentiellement la voie à l’eugénisme. Là aussi, une réflexion importante est donc à entreprendre.

Il s’agit là de deux pistes de travail qui seront bien sûr complétées par de nombreuses autres qu’il reviendra aux membres du CNBC de définir.

Je tiens d’ailleurs à les remercier de siéger aujourd’hui à mes côté : les professeurs BERCHE, DANCHIN, DESENCLOS, KORN et MEUNIER ; le médecin général BINDER, Madame DUCHENE directrice des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement du ministère des affaires étrangères et du développement international ; Monsieur GENET, directeur général de la recherche et de l’innovation ; l’ingénieur général de l’armement COLLET-BILLON, directeur général pour l’armement ; le Professeur VALLET directeur général de la santé et Patrick CALVAR directeur général de la sécurité intérieure.

Les enjeux qui ont présidé à la création du CNCB sont importants pour la Nation. Il ne s’agit rien de moins que de parvenir à concilier la liberté de la recherche avec les impératifs de la sécurité. C’est à vous qu’incombe désormais cette mission.

Je vous remercie.

Publications qui pourraient vous intéresser